Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/332

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son modèle. Malgré tout son mérite, il ne peut donner à son ouvrage la vie de la nature, car l’art ne saurait complètement révéler la nature. L’âme étant donc la cause de la beauté du corps, il faut qu’elle soit plus belle que lui. Socrate, dit-on, se plaisait à contempler de beaux jeunes gens, afin d’apercevoir la beauté spirituelle à travers la beauté de leur corps.[1] »

« Des yeux levés au ciel sont toujours beaux », écrit Joubert. C’est possible, mais voici le fond de la question. Depuis deux siècles, le christianisme, en frappant sans relâche la sensibilité, avait fini par arriver à une véritable névrose. Sans doute, l’âme y avait gagné une singulière délicatesse : mais quels excès ! Quel art douloureux, maladif ! J’ai fait, dans les dernières leçons, le tableau de ces inventions extraordinaires du pathétique. Nous avons parcouru la mer « où il est doux de faire naufrage. »

À cette passion de la douleur, où la raison menaçait de sombrer, la Renaissance vient opposer la religion nouvelle de la sérénité et de la beauté pure. Sans doute, c’était là une philosophie païenne. Mais qui sait, en un sens, si elle n’est pas la vérité ? Qui nous assure que le christianisme, comme il est un progrès moral, soit encore, par surcroît, un progrès esthétique ? Qui nous garantit

  1. Savonarole revient souvent sur ces idées. Il les répète ailleurs presque dans les mêmes termes. C’est toujours le défi au matérialisme, au sensualisme de la Renaissance. Voici ce beau passage :

    « En quoi consiste la beauté ? Dans les couleurs ? Non. Dans la forme ? Non. La beauté est une harmonie des formes et des couleurs. Il en est ainsi tout au moins dans les objets composés. Dans les objets simples, la beauté, c’est la lumière. Voyez le soleil, les étoiles : leur beauté est dans la lumière qu’ils répandent. Voyez les esprits bienheureux : leur beauté est dans la lumière, Dieu est lumière : et quoi de plus beau que Dieu ? N’est-il pas la beauté elle-même. » (Sur Amos et Zacharie, sermon XXIV).

    On se reprocherait de discuter de trop près ces idées. Peut-être, si on voulait en serrer les formules, en trouverait-on le sens un peu insaisissable. Il me paraît difficile de fonder un art concret sur des abstractions et sur de purs concepts.