Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/344

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De tels faits, et bien d’autres que l’on pourrait citer[1], montrent ce qu’a de superficiel le mouvement de la Renaissance. L’âme populaire en est restée absolument indemne. Que peuvent lui faire, à elle, le latin de quelques humanistes et la philosophie de quelques antiquaires ? Ici se vérifie la belle remarque de Ruskin. La vie des nations, dit-il, se conserve dans trois livres : à savoir leur histoire, leur littérature et leur art[2]. Mais de ces trois livres, le dernier seul présente un témoignage fidèle : il est le reflet infaillible d’un état général, l’indice de la santé ou du malaise d’un peuple, la mesure de son idéal et de sa moralité. C’est ce que va nous faire voir l’art du xvie siècle. À côté de l’art officiel, du « grand art », destiné à l’usage du petit nombre, il y en a un second, fait pour les masses, pour les églises, et non moins curieux ni moins intéressant que l’autre. On y voit quelle place la vieille religion tient encore dans la vie, comment elle se défend contre les empiétements modernes[3]. Les ordres mendiants redoublent d’activité. L’antique tronc franciscain jette des branches nouvelles : Minimes, Ré-

  1. Ermites, fureur de prédictions. En 1496, l’ascète Filippo de Mancini, près de Sienne, dépêche dans la ville anxieuse un romitello, (un élève) portant au bout d’une perche une tête de mort, et une sentence menaçante : Ecce venio cito et velociter. Estote parati. Allegretto, dans Muratori. Rerum ital. script., t. XXIII, col. 856 et suiv.

    À Milan, en 1516, après la deuxième invasion française, un ermite toscan, Jérôme de Sienne, occupe plusieurs mois la chaire de la cathédrale, tonne contre la hiérarchie, opère des miracles et ne cède la place qu’après des luttes très vives. Prato, Archiv. stor., t. III, p. 357 et suiv. — À Rome, en 1508, des flagellants napolitains se présentent, portant à Lorette une Madone miraculeuse ; le pape fait saisir la caisse (600 ducats) et met les meneurs au violon. Modène, Archivio di Stato, lettre de Lodovico da Fabriano au cardinal d’Este, 15 juin 1508, dans Rodocanachi, Rome sous Jules II et Léon X, 1912, p. 301. — En 1522, procession de flagellants, jeunes filles demi-nues, lamentations de femmes portant des cierges à la main et parcourant les rues en criant : « Miséricorde ! Miséricorde ! » Lettere di Principi, Venise, 1591, p. 106. Lettre de Girolamo Negri, du 15 août 1522. Rodocanachi, ibid., p. 300.

  2. Saint Mark’s Rest, préface.
  3. Cf. Broussolle, La Religion et la Renaissance, 1908.