Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/368

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mais lorsque, dans un tableau, il me reste un peu d’espace, je l’orne de figures d’invention…

D. — Est-ce qu’il vous paraît convenable, dans la cène de Notre-Seigneur, de représenter des bouffons, des Allemands ivres, des nains et autres niaiseries ?

R. — Mais non !

D. — Pourquoi l’avez-vous fait ?

R. — J’ai supposé ces gens en dehors de scène.

D. — Ne savez-vous donc pas qu’en Allemagne et autres lieux infestés d’hérésie, ils ont coutume, avec leurs peintures pleines de niaiseries, d’avilir et de tourner en ridicule les choses de la Sainte Église, pour duper ainsi les ignorants et les naïfs ?…

R. — Très illustres Seigneurs, je n’avais point pensé mal faire ; je n’avais point pris tant de choses en considération. J’étais loin de m’imaginer un si grand désordre, d’autant que j’ai mis ces bouffons hors du lieu où se trouve Notre-Seigneur.

Ces choses étant dites, les juges prononcent que ledit Paul sera tenu d’amender et de corriger son tableau dans l’espace de trois mois, le tout à ses dépens. Et ita decreverunt omni melius modo[1].

IV


On a médit du Saint-Office : d’autres tribunaux auraient fait lacérer le tableau, — et, au besoin, brûlé l’auteur ; Véronèse et nous-mêmes en sommes quittes à meilleur marché.

Le fait semble donc n’avoir pas eu de conséquences. En réalité, c’est la fin d’une époque et d’un monde. Avec le procès de Véronèse, se terminent les trois siècles

  1. Baschet, Paul Véronèse appelé au tribunal du Saint-Office à Venise, Gazette des Beaux-Arts, 1re période, t. XXIII, p. 378 ; Yriarte, La Vie d’un patricien à Venise, 2e édit., p. 358.