Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/398

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morale. Rubens avait un confesseur, un Jacobin, dont on possède le portrait de sa main[1]. Et rien ne nous prouve que sa foi, qui a illuminé ses jours, fût moins chaude et moins tendre pour être celle d’un peintre savant et d’un génie magnifique. Voyez ses peintures religieuses, sa Descente de croix, sa Montée au Calvaire, ses Pietas, ses Mises au tombeau : en est-il de plus belles ? Aimons les Primitifs ! Vénérons les charmantes écoles du passé ! Mais prenons garde de croire que l’art religieux ne puisse coexister qu’avec une certaine gaucherie artistique, — de peur que la foi, elle aussi, ne finisse par passer pour une espèce d’enfance ou d’imbécillité ! Je me défie de ces attendrissements modernes sur le moyen âge, depuis que j’observe qu’on part de là pour refuser aux maîtres classiques le véritable génie chrétien. Les contemporains de Rubens avaient moins de scrupules : ils ne doutaient pas que le Coup de Lance[2] ne fût un tableau de piété. Qui nous a sur le tard rendus plus difficiles, ou meilleurs juges, peut-être, des intentions du peintre ? Encore une fois, ne soyons pas dupes de ce respect hypocrite qui consiste à identifier la religion et l’archaïsme, et qui fait de l’un et de l’autre des objets de curiosité et d’archéologie. Étrange prétention, que d’attacher la piété à certaines formes plutôt qu’à d’autres, et aux formes imparfaites plutôt qu’aux achevées ! Mais non, l’émotion ne dépend pas de la forme : c’est elle qui la crée, dès qu’elle existe quelque part ; elle se fait jour à travers le langage du rustre, comme dans l’éloquence d’un maître ; elle anime aussi bien un sermon de Bossuet qu’un Noël bas-breton, et elle éclate chez un Rubens comme chez un Giotto.

  1. Au musée de La Haye. Cf. Klassiker der Kunst, t. V, p. 316. — Il s’appelait Michel Ophovius, et il était évêque de Bar-le-Duc. Après la prise de cette ville par les Hollandais, en 1629, il vint habiter à Anvers.
  2. Ce tableau se trouvait aux Récollets d’Anvers.