Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/156

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dent enfin dans le refuge, dans le secret de ses bras serrés. Et puis c’est le silence angoissé de la voix de Jean comme il sent la montée de mes pleurs et qu’il me retire lentement de lui, et qu’il relève ma tête, et qu’il prend ma figure entre ses deux mains, et me regarde. Ô Jean, Jean de ma jeunesse, Jean de ma chair et de mon âme, mince figure de Jean près de ma figure, comme j’en sens encore émaner la brûlante chaleur, brasillement du feu qui réchauffe toute ma vie… Et l’inquiétude, l’attention, la fixité des yeux de Jean, et leur pénétration lente tout au fond de mes pensées. Et la honte qu’il y Use l’effroi de lui, de moi, l’horreur de ce que ma volonté voulait, et que je ne veux plus, et que je ne peux plus… Et la tristesse de ces yeux, la compréhension, le doux attendrissement de ces yeux qui me sourient enfin, comme un appui très sage, très doux, comme un asile divin de protection.

— Pauvre petite…

Jean garde ma figure entre ses douces mains, et en baise les yeux ruisselants.

— Vous pleurez… déjà !

Ses mains se serrent tout-à-coup autour de ma tête et tout ses traits se serrent comme elles, et son regard rétréci m’enveloppe d’un cercle étroit de violence et d’amour.