Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déroute de paysans épouvantés… Bruxelles en fièvre, pavoisé ; rues grouillantes zigzaguées de diaboliques automobiles, de foules hystériques en mal de nouvelles, d’espions et de blessés, immense battement de cœur du peuple inactif, dans l’attente.

Et puis, soudain, impressionnant, le calme, le silence, la foule évanouie, les longues avenues aveuglées de leurs volets rabattus en hâte.

Ils venaient.

Ils passèrent tous devant ma grille paisible. Du fond de mon petit salon, j’entendais le tonnerre continu du pas de leurs chevaux, de leurs roulottes, de leurs wagons, de leurs chariots, de leurs voitures, de leurs mille poitrines haletantes : le bruit inoubliable, crucifiant, de leur armée piétinant notre patrie. Seulement au bout de trois jours, le roulement s’assourdissait, ouaté du fumier de leurs bêtes sur la route. Ils passaient toujours.

Alors, brusquement, je sortis. Le soleil éblouissant, le bruit, l’odeur de tous ces êtres, ce grouillement de vie géante, me clouèrent là, tête tournante, devant mes fenêtres, à les regarder passer.

Dans un lointain de poussière, ils sortaient de l’horizon, semblaient un ruban immobile qui peu à peu s’élargissait, dansait, oscillait, entrait dans