Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/174

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blessés, les petits d’autres femmes, aussi aimés, aussi précieux. Nous les soignons très méticuleusement, sans joie, mais avec pitié. Ils sont très polis, rendent notre tâche aisée ; et puis ils sont dépouillés de leur habit de boucher, ils ne sont ici que la victime…

Comme je parle leur langue, on m’envoie parfois près de leur chevet, mettre une voix de femme dans leurs souffrances.

Un grand, un officier, figure ravissante et brûlée, me regarde longuement. Il a l’air très malade. Quand je passe, il m’appelle tout bas. Un jour il me parle.

— Restez près de moi… J’ai une maîtresse, là-bas. Elle vous ressemble. Et avec une précision d’amoureux il se reprend, nuance : elle a l’arc de vos sourcils, et le plan de vos joues ; et le petit frisson du coin de votre bouche. Elle est plus jolie. Mais elle a les cheveux blonds. Elle n’a pas d’enfants ; cela m’est égal de mourir ; elle mourra aussi. Nous mourrons, Trudi et moi.

Il se soulève un peu sur l’oreiller, et me regarde fixement.

— Il faut sourire, pour que je la voie.

Il s’absorbe à me regarder avec d’étranges yeux lointains.

— Douce… douce aimée… Petite Trudi…