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XX


Je marche, je parle, je gesticule dans ce désert, j’essaie de rompre la solennité écrasante de ce silence. Je suis comme une infime marionnette s’agitant dans l’infini. J’aperçois d’autres marionnettes qui marchent, qui parlent, qui gesticulent. Aucun lien ne nous relie. Nous allons toutes, suivant notre idée, les yeux bridés, spasmodiques et importantes, menant grand bruit de nos petites existences disséminées de pantins.


XXI


Pourtant, j’ai besoin des autres. Je cherche, et arrête, et retiens ces pantins disséminés. Je me serre à eux. Je leur parle affectueusement. Je sais bien que nous sommes tous de petites choses articulées, en bois et en son, mais nous devons avoir un pouls, une conscience, car voici que je ne puis me passer d’elles ; je regarde leurs mouvements, leurs entrées, leurs sorties, leurs saluts, leurs sourires. Je m’assieds au milieu d’elles ; je dévide, par petits gestes cassés, des écheveaux de laine grise qu’on m’a mis dans les mains ; j’en fais un gros peloton. Quel drôle de petit guignol !