Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/95

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de révolte et de bravoure. Pour nourrir sa fièvre, elle a préparé tendrement la blanche infirmerie où ses mains pourront panser des hommes du pays, devenus chers à son cœur comme une armée de ses enfants. Car dans le passant paisible, dans le mioche boueux de l’ornière, elle sent maintenant tressaillir sa chair orgueilleuse, liée à eux, devant l’agresseur, d’un farouche lien d’amour. Tête haute, la voix soulevée d’ardeur, elle parcourt le village en alarme, excitant le courage, fouaillant âprement le paysan apeuré. L’excès de sa rage est exhilarant et communicatif. Mais elle est calme aussi, quand la rumeur abominable des troupes envahissantes se rapproche. Elle protège son petit royaume, rassure les vieilles femmes, sourit aux bébés, levant partout de belles mains apaisantes, maintenant en ordre le groupe des âmes en déroute, comme une brave bonne ramène sous elle ses petits, résignée mais sans peur. Et c’est elle qui reçoit le choc des armées, marchant au devant des chefs excités et méfiants, discutant les logements, cantonnant troupes et chevaux, son calme château envahi du vacarme botté de l’état-major et des plantons crottés. Et les hommes la regardent en silence, mâtés par son regard. Elle est le bras et le cerveau du village stupéfié. Elle semble ne plus devoir manger ni dormir, elle n’est plus une