Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/99

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l’éblouit. Et l’homme au volant, pressé, brutal, se penche, gesticulant :

— La route de la ville ! Par ici ? Par là ?

Le grossier gant, dans l’ombre, indique le ruban vierge des routes perdues dans la nuit comme deux membres blancs. Et à côté de l’homme, une autre figure, sous la casquette plate, la regarde fixement, de ses yeux durs qui entrent comme deux épées dans ses prunelles de femme solitaire.

Aussitôt, une image étroite et claire s’évoque : le brusque tournant, le mur de pierre, le dérapage grinçant de l’auto rouge, naguère… Le bon chemin s’étend à droite ; l’autre, à gauche : un casse-cou sûr dans cette obscurité… Elle dit, très haut :

— À gauche ! Et tout droit !

La machine hurlante s’élance sur la pente traîtresse du chemin assassin.

Elle reste très calme, les mains croisées, et écoute. Elle n’a ni pitié ni peur. Elle est à la guerre. C’est son premier combat. Les armes sont égales : s’ils vivent, c’est pour elle la fusillade au mur, la balle au cœur, comme un soldat ; sinon, elle a offert au sol adoré deux cadavres ennemis…

Et soudain l’effroyable détonation retentit, semblant briser la pierre ; et le gargouillement