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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

en ait besoin. Dans le même ordre d’idées, ce qui n’est pas le moins frappant, c’est que l’antithèse lui est inconnue. Quel vide chez Victor Hugo, si l’on supprimait les antithèses ! Quelle gêne pour sa pensée comme pour son style, si on lui interdisait l’usage de cette forme qui est devenue comme le moule fatal de tout ce qu’il conçoit et de tout ce qu’il dit ! Pindare se passe de ce genre de ressources ; chez lui les idées et les expressions se suffisent à elles-mêmes ; chacune vaut par sa force propre, et la strophe se soutient par son élan naturel, sans le secours de ces artifices extérieurs. Sa poésie est vierge de toute atteinte de la rhétorique.

On remarque aussi chez Pindare un caractère plus plastique, tandis que la couleur domine chez Victor Hugo. C’est ici que paraît surtout la différence de l’art grec et de cet art si moderne. Le poète ancien, étranger à toute affectation, ignore ce que c’est qu’une attitude ; mais directement, dans la nature, il saisit nettement les formes de la vie, et son imagination en reproduit les contours précis et purs. Le poète moderne, qui préfère l’effet à la vérité et le décor au paysage naturel, évoque des visions. Le merveilleux du premier emprunte ses éléments à la réalité, celui du second est fantastique. Chez celui-ci, les sensations ont souvent quelque chose de trouble ou de vague comme cel-