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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

Telle est la sentence prononcée contre Créon par Tirésias, interprète de la pensée divine. Bientôt le coupable sera forcé de s’y soumettre et déplorera son erreur. Comment en effet ne reconnaîtrait-il pas son crime dans le châtiment qu’il en reçoit ? Lui-même il avait prétendu approprier la punition d’Antigone à sa faute : elle qui avait voulu à tout prix accomplir les devoirs de la sépulture, elle périssait dans son propre tombeau, elle y était ensevelie vivante. Eh bien ! ce raffinement cruel, digne vengeance d’un tyran, par une ironie non moins terrible de la destinée, se retourne contre lui. Ce tombeau qu’il a inventé pour sa victime, bientôt il y court lui-même, le cœur déchiré par l’inquiétude : c’est pour s’y voir menacé par son propre fils[1], qui se tue sous ses yeux et entraîne aussitôt par ce suicide celui d’Eurydice. Attiré lui-même par ses craintes paternelles dans le lieu qu’il a choisi pour le supplice, il en sort n’ayant plus ni son dernier enfant ni sa femme. Comment donc se refuser à l’évidence et nier le triomphe de la religion de la famille ? C’est

  1. Tel est bien le sens du grec, contesté à tort par répugnance pour la pensée d’un parricide. Pour absoudre Sophocle, on dit que le narrateur et Créon se trompent, qu’ils comprennent mal le mouvement d’Hémon, qui ne tire son épée que pour se tuer. Le malheur est que, s’ils se trompent, ils trompent en même temps le public. On ne sauverait donc la moralité du poète qu’en lui prêtant une maladresse.