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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

tons et aux chèvres, la peinture de leur félicité dans leurs pâturages, s’entremêlent dans une capricieuse incohérence. Cette rapide mobilité des thèmes forme comme les détours et les surprises d’une fuite où le coureur cherche à mettre en défaut une poursuite obligée de repasser sur toutes ses traces. C’est donc une lutte de souplesse et d’agilité entre deux improvisateurs, qui s’efforcent, l’un de déconcerter son rival par l’imprévu de ses évolutions, l’autre de ne jamais rester à court. La difficulté d’invention est égale pour tous deux ; si l’un doit renouveler à chaque instant les motifs du chant bucolique, il faut que l’autre en fournisse sur-le-champ des reproductions originales.

Les imitations, même celles de Virgile, ne donnent qu’une idée incomplète de Théocrite. Ce mouvement, cet imprévu, ce caprice, très sensibles dans la ve idylle, ne sont qu’imparfaitement reproduits dans la iiie églogue du poète latin ; de même qu’il s’en faut que le charme de la viiie idylle, plus faite pour tenter la grâce élégante de son génie, ait passé tout entier dans sa viie églogue. Le vers admiré de Fénelon :

Aret ager, vitio moriens sitit aeris herba,

est bien heureusement expressif, et il semble qu’on ne puisse rendre avec une concision plus