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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

rable du seul emploi qu’il en puisse faire, il ajoute : « te chantant, ô ma douce pomme, et aussi moi-même bien souvent jusque dans la nuit. » Et au milieu des peintures champêtres où il se plaît à étaler les douceurs de son bien-être pastoral, il multiplie les plaintes et les appels passionnés : « Oh ! viens avec moi… laisse la mer glauque se briser contre le rivage !… Puisses-tu sortir des flots, ô Galatée, et, une fois sortie, oublier, comme j’oublie maintenant assis sur ce rocher, de retourner où tu habites ! Puisses-tu te plaire à paître avec moi les troupeaux !… »

La douleur amoureuse de Polyphême se soulage en s’exprimant, — c’est là ce bienfait des muses que Théocrite vante à son ami Nicias en lui envoyant son poème, — et les élans se calment en approchant de la fin. Il en vient à se dire à lui-même : « Ah ! Cyclope, Cyclope, où laisses-tu s’égarer ton esprit ! » Tous ces traits sont vrais et touchants. Sans prétendre analyser ce qu’il suffit de lire, terminons par une remarque. Théocrite n’est pas seulement un grand poète, il est aussi singulièrement ingénieux, et cette seconde qualité se confond souvent chez lui bien heureusement avec la première. En voici un seul exemple. Un Grec ne pouvait oublier, à propos de Polyphême, le trait principal de la légende homérique : la perte de cet œil qui est comme son attribut. La vie idylle