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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE

La victoire que Daphnis prétend remporter, c’est une victoire morale. L’Amour le tue, mais sans le faire céder, voilà quelle est l’idée principale. Quel est l’objet de cette passion assez violente pour briser sa vie ? Sans doute tout simplement la jeune fille qui, elle-même, s’est éprise éperdument de lui. Le poète s’en inquiète à peine ; il ne la désigne même pas par son nom. Ce qu’il montre et met au premier plan, en pleine lumière, c’est la mort de Daphnis et sa lutte contre Vénus. Daphnis se ranime un instant pour faire entendre à la déesse ses malédictions et ses railleries ; puis, après avoir adressé ses adieux aux hôtes farouches des forêts de sa montagne et légué à Pan sa flûte pastorale, il meurt en sentant que sa mort trouble toute la nature, en touchant de pitié même son ennemie, celle qui était venue chercher le cruel plaisir de le voir abattu sous sa puissance.

Ainsi Daphnis, arraché à la pure sérénité de sa vie sauvage, meurt de cette violence ; sa noble et délicate nature, envahie par un de ces amours indomptables dont l’antiquité a représenté plus d’une fois la force effrayante, se brise sans s’avilir. Tel est le sens du sujet traité par Théocrite. Il s’est appliqué à en conserver le caractère. Son talent discret et fort néglige ou laisse dans l’ombre ce qui n’appartient sans doute qu’à des développements postérieurs de la légende, et marque en