Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

I

GIOVANNI

C’est vers la fin de l’été de 1672 que le comte de Frontenac foula pour la première fois le sol de cette Nouvelle-France qu’il devait aimer de toute son âme et défendre avec une énergie et un courage indomptables.

Tout Québec s’était porté à sa rencontre.

L’arrivée du nouveau gouverneur général, dont la réputation militaire était bien établie, avait mis la joie dans tous les cœurs.

Après les revers dont ils avaient été accablés, les habitants sentaient qu’ils auraient dans la personne de ce gouverneur un soldat capable de les protéger.

Louis de Buade, comte de Palluau et de Frontenac, était alors un homme dans la force de l’âge, cinquante ans environ. Sa carrière militaire avait été brillante et la renommée de ses hauts faits d’armes avait traversé l’océan avant lui. Son père « premier maître d’hôtel et capitaine du château de Saint-Germain-en-Laye », un des familiers de Louis XIII, l’avait initié de bonne heure au rude et dangereux métier des armes. Louis de Buade avait servi successivement en Flandre et en Italie, en Allemagne, devant Candie, dont il fut le dernier défenseur. À la bataille d’Orbitello, où tomba le célèbre Brézé, il était maître de camp au régiment de Navarre. C’est là qu’il eut un bras cassé, blessure dont il ne se remit jamais complètement. À la journée de Saint-Gothard, en 1664, il accomplit des prodiges de valeur. On dit que l’établissement au Canada des soldats de Carignan-Sallières qui prirent une part si brillante à ce combat, fut peut-être une des raisons de sa nomination dans la Nouvelle-France.

Le roi lui-même, dans les provisions du comte, avait déclaré que M. de Frontenac avait donné plusieurs preuves de son expérience et de son courage, et qu’il avait toutes les qualités requises pour s’acquitter avec honneur des devoirs de sa charge.

Si les mauvaises nouvelles nous arrivent avec la rapidité de la foudre, les bonnes, qui ne vont qu’en boitant, finissent toujours par nous atteindre. On comprend, alors, que les braves habitants de Québec, attendissent avec impatience la venue d’un homme dont il se disait tant de bien.

Le drapeau blanc, dont les fleurs de lys d’or avaient au soleil l’étincellement d’une victoire, déployait ses plis majestueux sur les principaux édifices du plateau, où se dressait la haute ville, en avant des plaines d’Abraham, sur les couvents des Jésuites, des Ursulines et des Hospitalières ; sur le séminaire joint à la grande église ; sur le palais de l’Intendant qui, situé sur le bord de la petite rivière Saint-Charles, où l’on voyait le couvent des Récollets, était presque détaché de tout le reste de la ville ; sur quelques maisons groupées autour ; sur le château Saint-Louis, résidence des gouverneurs ; sur le fort, qui posté sur la rampe de la montagne, comme un dogue gigantesque à l’aspect menaçant, commandait la basse ville où étaient les plus belles maisons et les magasins.

Frontenac avait tenu à arriver au Canada comme un gouverneur qui comprend la dignité de sa situation.

Comme le disait Mademoiselle de Montpensier, dont Madame de Frontenac était l’une des dames d’honneur, le comte avait des goûts très prononcés pour la parade et l’ostentation. Il en usait comme si on lui eût dû de grands devoirs. Il se vantait de sa table, de sa vaisselle, de ses habits, de ses chevaux. Et Saint-Simon dit : « Frontenac était un homme de beaucoup d’esprit, fort homme du monde et parfaitement ruiné. »

Cependant, comme nous l’avons dit, Frontenac, quelle que fût la médiocrité de sa fortune, voulut arriver au Canada au milieu d’un décor digne de ses titres et de sa position. Le roi lui avait fait quelques libéralités : 6,000 livres « pour se mettre en équipage, » 9,000 environ pour former « une compagnie de vingt hommes de guerre à cheval, dits carabins, » qui seraient sa garde du corps. Frontenac avait chargé un vaisseau de ses « ameublements et équipages, » mais les Hollandais, auxquels Louis XIV venait de déclarer la guerre, s’en emparèrent à la hauteur de l’Île Dieu, petite île