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Celui-ci s’inclina respectueusement et effleura d’un baiser la main ravissante que Johanne lui tendait.

— Monsieur, dit-elle, avec un sourire ineffable, permettez-moi de vous féliciter de votre guérison. Ce sera fête, aujourd’hui, dans la maison du baron de Castelnay.

— Oh ! mademoiselle, répliqua Giovanni, comment vous remercier de votre dévouement. Je vous dois la vie.

— Que vous avez mise en danger pour moi.

— Tout autre en eût fait autant, mais je remercie le sort de m’avoir choisi.

— Et moi de même, reprit vivement Johanne.

Mais à peine avait-elle prononcé ces paroles qu’elle rougit et se tut.

Le silence qui suivit devenait gênant pour tous les deux.

Alors Giovanni lui demanda :

— Aurais-je l’honneur de parler à monsieur le baron ?

Cette demande, si simple en apparence, jeta le trouble dans l’esprit de Johanne.

De même que dans un grand calme, l’œil exercé du marin découvre l’avant-coureur de la tempête dans un firmament pur et sans nuages, ainsi Johanne alarmée, crut voir, à l’horizon de son ciel, le grain qui allait bouleverser ses projets de bonheur.

Sa figure rayonnante se couvrit d’un voile de tristesse.

Elle hésita un instant.

Enfin, elle dit avec lenteur :

— Mon père est au château où l’a demandé Son Excellence le gouverneur. Il regrettera, sans doute, son absence, quand il apprendra qu’il n’a pas été ici pour vous féliciter le premier de vous voir debout.

Cependant, si vous voulez bien m’accompagner, nous romprons ensemble le pain de l’amitié.

— Vous me faites réellement trop d’honneur, répondit le jeune homme, avec un sourire triste.

Il offrit son bras à Johanne et pénétra dans la salle à manger.

Si jamais la fille du baron de Castelnay fit jouer tous les ressorts de son art de plaire, si jamais elle mit à profit toutes les ressources de son esprit et de sa beauté, ce fut bien en cette circonstance. Les sirènes de la légende n’eussent pu être plus séduisantes.

Johanne, quand elle se vit en présence de Giovanni qui réunissait tous les charmes qui affolent la femme, quand elle l’aperçut si captivant, il se passa en elle une sensation inexplicable. Dans ses yeux brilla la flamme de convoitise du chercheur d’or qui découvre soudain un trésor du haut d’un précipice et veut atteindre, au risque de sa vie, l’objet de ses désirs.

Elle se jura qu’elle posséderait cet homme.

Coûte que coûte, elle l’arracherait à l’ennemi qu’elle soupçonnait dans la personne de l’Algonquine.

Oh ! ce soupçon ne pouvait durer.

Et, mue par cette passion désordonnée qui nous pousse à fouiller l’inconnu, quand c’est pour notre malheur surtout, elle voulut savoir.

Elle voulut savoir, avec sa curiosité de femme, et principalement de femme jalouse, si oui ou non, Giovanni aimait Oroboa.

Et s’il l’aimait ?…

À cette pensée, elle fit un effort pour retenir au bord de ses paupières les larmes qui montaient à ses yeux.

Oh ! non, non, ce serait affreux.

Elle souffrirait trop.

Plutôt la mort.

Grand Dieu, était-il donc possible de tant aimer !…

Elle qui s’était tant ri de l’amour jamais elle ne l’eût cru…

Et s’il l’aimait ? se répéta-t-elle.

Alors, gare à cette Indienne, car elle ne demeurerait pas une heure de plus sous ce toit. Elle la chasserait comme une mauvaise bête, comme un oiseau de malheur.

C’était son amour, son bonheur, toute sa vie qu’elle défendrait !…

Qui la blâmerait ?

Et même, s’il le fallait…

À cette dernière pensée, un frisson d’épouvante la secoua.

Pour détourner le cours lugubre que prenaient ses réflexions, elle demanda à tout hasard en se versant une tasse de café :

— Monsieur, je vous prie de pardonner ma curiosité bien excusable, du reste, chez mon sexe. Mais, dites-moi, n’est-il pas juste que je con-