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une espèce de casque en métal ; il avait subi le supplice du scalp.

Giovanni quand il aperçut le missionnaire alla au-devant de lui :

— Mon révérend père, dit-il, c’est Dieu qui vous envoie. Cette jeune fille n’attend plus que l’absolution du prêtre pour quitter la terre.

Après que le père Déziel eût entendu l’aveu des fautes de la chrétienne repentante, il sortit une hostie d’une custode en argent qu’il portait sur son cœur. Daim-Léger et les deux autres Indiens s’agenouillèrent.

Giovanni soutint contre sa poitrine la tête blonde de Johanne, et le missionnaire donna la communion de l’Homme-Dieu à celle qui dans quelques instants allait mourir à la vie du monde, à ses illusions, à ses souffrances.

Le vent qui s’élevait éteignit le flambeau de Daim-Léger.

Alors cette scène grandiose dans sa tristesse ne fut plus éclairée que par les reflets de la lune et des multitudes d’étoiles dont la clarté tombant en plein sur les traits de Johanne faisait ressortir étrangement la beauté, rayonnante encore dans l’agonie, de la fille des Croisés.

Soudain Johanne ouvrit tout grands les yeux ; ses lèvres esquissèrent un sourire qui finit par un bâillement.

Elle n’était plus.

Tandis que l’apôtre de la foi récitait les oraisons suprêmes, Giovanni ferma les yeux de la morte et joignit ses mains sur sa poitrine.

Les prières finies, Daim-Léger chargea le corps sur ses épaules.

Précédé du père Déziel, suivi de Giovanni et des deux Indiens, il se rendit à l’éminence qui dominait le fleuve où Johanne avait demandé de dormir de son dernier sommeil.

Les Indiens creusaient une fosse avec des hachettes qu’ils portaient à leur ceinture.

Le missionnaire, imposant avec sa haute taille, ses cicatrices et sa barbe patriarcale, priait, tout droit, le visage tourné vers les flots noirs striés d’une raie d’argent.

Giovanni était assis, adossé à un chêne immense dont la ramure s’étendait en dôme protecteur au-dessus de la fosse.

Il tenait appuyée contre sa poitrine la dépouille de celle qui l’avait aimé jusqu’à lui sacrifier sa jeunesse et sa beauté.

De loin, on eût dit deux amants pressés l’un contre l’autre, laissant chanter leurs cœurs extasiés, et redisant, au sein de cette nature sauvage et enchanteresse, l’éternel et toujours nouveau refrain d’amour.

En face, le fleuve-roi aux flots calmes, dans la nuit claire semblait garder le silence religieux de la mort, et sur toute la rive, les arbres courbaient leurs fronts majestueux devant ce spectacle imposant.

Johanne et Giovanni n’étaient pas des amants qui échangent, ravis, des verbes d’enivrement et d’espérance dans les trésors que la vie fallacieuse promet à la jeunesse enthousiaste.

Non, il n’y avait là qu’un jeune homme, qui, malgré ses tendres années, avait souffert toute une vie, et une morte que les joies et les promesses d’un bonheur apparent n’avaient pas empêchée de s’élancer à la poursuite d’une affection insaisissable. Impuissante à vaincre la cruauté du destin, elle avait été fauchée dans tout l’épanouissement de ses grâces et de sa jouvence.

Ah ! le bonheur n’est-il donc qu’un leurre, qu’une ombre fugace et trompeuse après laquelle nous courons sans cesse, sans que nous la puissions jamais atteindre ?

Ou bien le mortel est-il un être insatiable pour qui le bonheur n’existe pas, pour qui un désir assouvi est aussitôt remplacé par un autre ?

Heureux les peuples qui n’ont pas d’histoire ; heureux les hommes qui n’ont ni amour ni ambition !

Aimer, c’est souffrir ; être ambitieux, c’est souffrir, puisque l’homme n’est qu’une bête affamée que la mort seule peut rassasier et délivrer de ses souffrances !…

La fosse était prête.

Les Indiens y descendirent le cadavre enveloppé dans une couverte.

Avec un tremblement dans la voix le père Déziel dit : « Repose en paix, âme chrétienne ! »

Et la terre tomba, tomba, sur la dépouille de celle qui avait été la