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Page:Girard - Les ailes cassées, 1921.djvu/6

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4 LES AILES CASSÉES

Sir Léon.—Que disais-je ?

Clara.—La dernière expédition de cornichons en conserves...

Sir Léon.—... que j’ai adressée à Bisbop & Co., Toronto, il y a un mois, n'est pas encore arrivée à destination. C’est intolérable. (Il pince la taille de Clara.) Vous êtes adorable. (Clara écrit “vous êtes adorable”.) Mais non, n’écrivez pas cela. C’est à vous que je le dis. (Dictant.) Je vous prie d’y voir sur-le-champ. Votre tout dévoué, Un point, c’est tout. Mademoiselle Clara, nous soupons ensemble samedi soir. Est-ce entendu ?

Clara.—Mais, Monsieur...

Sir Léon.—Je suis toujours heureux de reconnaître les services dévoués de mes employés.

Clara.—Alors, je veux bien.

Sir Léon, embrassant Clara.—Que vous êtes gentille !

(Entre Gilberte qui prend son père en flagrant délit. Clara file à l’anglaise, toute confuse.)

Scène V SIR LEON, GILBERTE.

Gilberte, très calme.—Oh ! pardon, je te dérange.

Sir Léon.—Pas précisément, mais tu aurais pu attendre quelques minutes.

Gilberte.—Je puis retourner faire antichambre.

Sir Léon, sortant son porte-monnaie.—Combien te faut-il aujourd’hui ?

Gilberte.—Donne toujours, mais ce n’est pas ce qui m'amène. (Sir Léon tend quelques billets.) Gilberte.—Merci, papa. Et les affaires, ça marche ? (Tout en parlant, elle jette un coup d’oeil sur les photographies.)

Sir Léon.—Il le faut bien, parbleu ! Avec un appétit comme le tien et celui de ta mère.

Gilberte.—Tu ne me semblés pas dépérir d’ennui.

Sir Léon.—Avec ça que je n’aurais pas ma part. Tu t’es plue hier, au bal des Rouleau ?

Gilberte, sans enthousiasme.—Oui.

Sir Léon.—Du monde ?

Gilberte.—Je ne me sens plus les pieds tant on m'a marché dessus.

Sir Léon.—Chic?

Gilberte.—Pour tous les goûts. Depuis la bonne aristocratie jusqu’aux héritières de parvenus... comme moi...

Sir Léon.—Je te prierais de ne pas oublier à qui tu parles... Allons donc ! est-ce que tu n’es pas enviée ? ... Les adorateurs, ils ne se comptent plus. Ils fourmillent. Le jour où tu te marieras, ça fera sensation dans les journaux... Y as-tu pensé encore à ton mariage ?

Gilberte.—Mon choix est fait. C’est précisément à ce sujet que je suis venue.

Sir Léon.—Bigre ! tu en as un aplomb. C’est malheureux que tu ne sois pas homme, tu aurais fait un brasseur d’affaires hors ligne.

Gilberte.—Et puis ?... Crois tu que le jupon soit an obstacle ?

Sir Léon.—Ainsi, te voilà amoureuse ; je ne l’aurais jamais cru...

Gilberte.—Je n’ai pas dit cela.

Sir Léon.—Mais puisque ton choix est fait, ce n’est toujours pas pour entrer au couvent.

Gilberte.—Ne peut-on se marier sans se pâmer comme une pensionnaire. L’appétit vient en mangeant. Et, s’il ne vient pas, eh bien ! tant pis ou tant mieux.

Sir Léon.—Peut-on savoir le nom ?

Gilberte.—Tout de suite : Raymond Barsalou.

Sir Léon.—Oh ! oh ! Pas si mal trouvé. Il est joli garçon, bien tourné, avocat, plein d’intelligence, mais... il n’est guère fortuné.

Gilberte.—Parlons d’affaires, veux-tu ? Encore une fois, c’est précisément pour cela que je suis arrêtée aujourd’hui. J’aurais bien pu attendre à ce soir, mais il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. En outre, on ne sait jamais si tu dînes à la maison ou non.

Sir Léon.—Je suis si occupé, les affaires !

Gilberte.—Je comprends !

Sir Léon—Que veux-tu dire ?

Gilberte.—Tu as tant de correspondance !

Sir Léon.—Revenons à ton mouton. Que prétends-tu faire ?

Gilberte.—Me marier.

Sir Léon.—Quand ?

Gilberte.—Aussitôt que possible.

Sir Léon.—Et cela dépend de lui ?

Gilberte.—Non.

Sir Léon.—De toi ?

Gilberte.—Non.

Sir Léon.—De qui alors ?

Gilberte.—De toi.

Sir Léon, avec étonnement.—De moi ! Explique-toi.

Gilberte.—C’est pourtant très simple.

Sir Léon.—Je t’écoute.

Gilberte.—Bien que je ne me mêle pas de politique, il est clair que nous aurons avant longtemps des élections générales. Ça flotte dans l’air. Bientôt on fera le choix des candidats. Je veux que tu obtiennes un comté sûr pour M. Barsalou.

Sir Léon.—Comme tu v vas ! Je ne suis pas le dispensateur des comtés, moi. Pourquoi ne me demandes-tu pas de le faire nommer ministre.

Gilberte.—Ça viendra, sois sans inquiétude. Commençons par le commencement. Tu n’as qu’à y mettre le prix.

Sir Léon.—Seulement que ça.

Gilberte.—Ni plus ni moins. Je crois que $20,000 ou $25.000 seront à peu près suffisantes.

Sir Léon.—Pour une brèche au trésor du papa, en voilà une !

Gilberte.—Que t’importe, pourvu que j’arrive à mes fins.

Sir Léon.—Lesquelles ?

Gilberte.—Femme de ministre à Ottawa, tu l’as laissé entendre, malgré toi, tout à l’heure.

Célestine, entrant.—Sir Léon, c’est M. Addington à qui vous avez donné un rendez-vous pour cette après-midi.

Gilberte.—Priez-le de repasser dans une heure.