Page:Giraudoux - Adorable Clio.djvu/187

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son, mon âme, le nom que je veux vous donner ! La grenouille taureau gémit ; le loon, cygne noir du lac, pousse un cri tour à tour éclatant et voilé, car il plonge sans cesse sa tête et la ressort. La vraie lune s’écarte sans en avoir l’air de la fausse lune… Mais Rogers s’obstine à ne pas se taire. Il veut que je lui parle de Seeger, qui est mort, de Blakely, qui est mort, car tous les poètes américains ont été tués avant qu’ait commencé la guerre américaine. Il s’obstine à parler français sans permettre que je l’aide, et tourne autour des mots qu’il ne sait plus, autour du mot « débonnaire », autour du mot « échelle », du mot « sérénité ». Réfugié au cœur même du mot, je l’attends, sans l’aider, placide, au cœur d’un nom propre quelquefois, dans Baudelaire en ce moment, opprimante statue. J’y suis depuis une minute. Dieu sait si je me tais… Puis Rogers me lit ses vers, qu’il désire adapter pour l’Europe, car les mois en Australie diffèrent trop des nôtres.