Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chait sans répit aux passants et le père Bénoche essayait de somnoler tout en marchant. Mais en vain, la pensée éclosait à nouveau sous son crâne tiède. Il pensait :

— La belle route.

Et, une fois déclenchée, sa pensée ne connut plus de frein. Elle s’énuméra les communes du canton, les cantons de l’arrondissement, l’adresse des délégués cantonaux. Puis elle monta peu à peu, devint sa voix, et l’agent voyer dut entendre une fois de plus les aventures qui avaient rendu son compagnon légendaire, celle de ses oisons, qui s’étaient noyés dans la fontaine publique, justifiant les craintes de la poule qui les couva. Celle d’une jument étique, qu’il promena deux ans de foire en foire, en disant aux maquignons : — Ah ! la bonne bête ! mettez-lui le derrière contre le mur ; si elle recule, je vous la donne pour rien.

— Bénoche ! Bénoche ! grommelait l’agent voyer, vous êtes un enfant !

— Je suis un loustic, répondait Bénoche, en claquant des lèvres, voilà ce que je suis.

Il se tut cependant, car on arrivait à l’auberge. La maîtresse de l’agent voyer était assise sur le seuil, mais elle ne se leva même pas à la vue de