Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/25

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prunelles usées. Ils sont si bons qu’ils ont l’air sûrs que nous deviendrons aussi vieux qu’eux ; ils sont si fragiles qu’ils ne se hasardent pas dehors le matin, alors que sur les enclumes, sur les routes, tout résonne d’un bruit qui casse, et que rien n’amortit. Ils se réunissent pour les enterrements, par devoir, comme les pompiers pour la parade. Leurs mains tremblotent, car elles ont appris la valeur du temps, et le battent comme des pendules ; leurs veines ont si froid au fond de leur corps, qu’elles se glissent à la surface, et la peau seulement les sépare du soleil. Ils portent de grandes blouses ridées, et quand ils causent, ils s’arrêtent. Alors ils se regardent d’un air d’entente, comme s’ils avaient fait une malice, à vivre depuis leur jeunesse.

Les femmes ne sont jamais aussi vieilles que leurs vieux, à cause de leur jupe, que le moindre vent agite, qui s’étale et qui joue. Mais rien ne cache la vieillesse de mes trois amis, le père Morin, le père Ribaut et le père de l’adjoint, dont j’oublie toujours le nom. On les emploie dans le bourg à recueillir tout ce qui est malade, brisé et mourant. Le père Morin roule des tonneaux si disjoints, qu’ils ne gardent pas même l’eau de