Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/39

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penser à ce qui m’est indifférent, à ce qui ne souffrira pas : à des linges effilochés, au vernis des pieds de table, qui brûlent d’un feu sans lueur ; à un petit couteau que j’ai perdu dans un champ où il y avait une mare, des barrières, des ombres de poiriers, et que je devine si rouillé, si désorienté entre le gravier et les herbes, que c’est, mon Dieu, à désespérer.



Le soir, vers cinq heures, quand l’odeur des sureaux et le vent d’Est sont montés dans ma chambre, nous fermons les fenêtres pour les y garder toute la nuit. On me laisse seul, puisque je boude ; mais par la porte ouverte, je vois, encadrée par les linteaux, ma sœur broder des tapisseries que ma mère, jadis, commença. Au dehors on ne voit pas le ciel ; on sent qu’il tombe quelque chose, mais vous ne sauriez dire si c’est la neige, la pluie, ou simplement le soir et les nuages. C’est l’heure où le drap ne fait plus partie de votre corps, et se soulève, douillet, avec de petits courants d’air ; c’est l’heure où le regard se pose sur les consoles, où l’on voudrait embras-