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RETOUR D’ALSACE

demander à Paris, Passy 65-67 — Central 10-18, numéros de petites camarades, numéro de la maison de Borniol, équations tendres ou macabres — Louvre 30-31, numéro que je connais, numéro du Musée Gustave Moreau. Celui qui le demande est un grand artilleur à barbe noire. Un encadreur, sans doute, un prix de Rome ? Nous avons déjà le ténor du bataillon Gérard, qui a chanté Salomé en Allemagne.

Huit heures, dix heures, midi. Le seul recours contre le temps est de le mesurer à ce double pas, comme ceux qui ont affaire personnellement à lui, les sentinelles, les officiers de quart. Les soldats étendus dégarnissent de pierres leur place, découpent au canif dans les racines des noms qui ressortiront au bout d’années, épuisent des yeux, des mains leur paysage individuel et enfoncent dans le pré autant que les chevaux, qui piaffent et sont déjà enfouis à mi-jambes. — Deux heures ; le caporal téléphoniste continue à lire dans de petits livres brochés, dont je m’empare dès qu’une rupture du courant l’éloigne, ou quand un cheval se prend dans la ligne. Il les lit avec une vitesse prodigieuse, et je ne retrouve jamais le même. Son camarade parfois l’interroge :

— Qu’est-ce que tu lis ?

Le cœur sur la main.