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RETOUR D’ALSACE

les voitures de compagnie passent l’alcool aux ambulances, les mitrailleurs remplacent par de vraies cartouches leurs caisses bourrées de carton. Chacun a bientôt son poids exact de bataille. Tous ceux qui n’avaient pas de bidons, de troisième cartouchière, de vis de culasse, en découvrent soudain un choix près d’eux et l’on déniche enfin un képi pour Artaud, notre conducteur, qui est parti de Roanne tête nue. C’est un képi rouge sans manchon, bien visible, mais Artaud se moque d’être repéré : il a déjà un cheval blanc et il a peint sur sa voiture les drapeaux de tous les Alliés. Celui du Tonkin n’est même pas sec.

L’ordre arrive. Nous partons dans la direction de Bernwiller.

Voici Bernwiller. Nous traversons au pas gymnastique. Il a dû défiler toute la journée tant de troupes que personne aux portes ne regarde ce régiment courant à la bataille. Nous aurions pourtant voulu demander à combien de kilomètres était Flaxlanden ! Deux gendarmes menacent l’un de nous qui a secoué un prunier au passage. Un cantinier qui se rase sur l’accotement, sa glace pendue à un cerisier, attend avec nervosité, la figure débordant de mousse, que nous ayons fini de faire trembler la route. Sur le chemin de ces mille hommes aspirés par le canon, nous ne voyons que des gens dont