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RETOUR D’ALSACE

installés à contre-sens, les plus gravement atteints au premier étage, comme s’ils redoutaient en plus une inondation. Sur le banc d’une ferme, un officier endormi, la poitrine couverte d’une ouate sanglante. Ce n’est point un des nôtres. Son numéro d’or est plus faible d’une unité que le nôtre et il le porte d’ailleurs partout, à son képi, à son col, à son collet. Le sort nous a manqués d’un point. Nous nous penchons :

— D’où venez-vous ? demande le colonel.

Il se réveille. Il répond machinalement ce qui le matin encore était la vraie réponse :

— De… de Chambéry.

Puis il aperçoit les cinq galons. Sa mémoire aussi reparaît.

— Le colonel… le colonel est mort, dit-il.

De ses yeux hébétés, c’est mon képi qu’il regarde maintenant, ma manche, cherchant mon grade ; il ne le juge pas, sans doute, assez élevé pour ajouter : « Le sergent, le sergent est mort. » Il s’endort à nouveau.

Nous parvenons enfin à nos compagnies, massées derrière Spechbach, malgré un adjudant affolé qui n’a pas reçu le mot de passe, et ne sait comment reconnaître les patrouilles. Ordre de repartir aussitôt pour Enschingen. Nous passons de nouveau à travers ce régiment troué. Chalton