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RETOUR D’ALSACE

centre… Souvent les soldats ont recours à moi pour parler allemand, mais je ne suis qu’un interprète pour mots abstraits. À part les oignons, pour lesquels je suis d’un réel service, un soldat français peut tout se procurer par gestes. Ils n’usent de moi que pour calmer le doute qu’ils ont eu, en voyant qu’on n’illuminait pas en Alsace, qu’on n’y parlait pas français. Ils cherchent avec une bonne volonté inépuisable l’Alsacien qui leur dira : — quelle joie de vous voir ! Quelle honte que les Allemands ! Ils essayent, par des insinuations naïves sur la folie du kronprinz, de mettre à l’aise leurs hôtes. On m’invite au café dans cette grange pour que je demande à la vieille si elle est contente de nous voir. Comment se dit contente ? Toute la journée on lui répétera le mot « zufrieden » qui deviendra le soir un lambeau allemand méconnaissable, auquel la vieille continuera de répondre en hochant la tête. Pas un fumeur, pas un enfant, qu’ils ne me fassent interroger sur les cigognes, sur Strasbourg, sur les têtes de pipe. Si l’un d’eux fait mine de dire que le patois alsacien ressemble quand même au prussien, les autres me chargent de lui expliquer que la différence est colossale, qu’au lieu de Haus, la maison, on dit Hus, au lieu de Deutsch, l’Allemand, on dit Schwob. Peut-il y avoir plus d’écart ! Une fer-