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RETOUR D’ALSACE

par un bout de route nationale, à l’Est. Nous avons l’air de vouloir échapper à une armée française, ou plutôt à un aimant français qui nous guette dans la trouée. Nous voyons avec joie la montagne s’élever entre Belfort et nous ; nous nous barricadons avec les Vosges contre cette force qui nous pousse à revenir à la France. Nous ne savions pas qu’aujourd’hui c’était Charleroi. Nous tenons à l’Alsace comme à une richesse, et nous ignorons cependant que ces petits bois sur la droite sont les bois de Nonnenbruch, qu’ils valent au plus juste, à cause de leur potasse, quatre-vingts milliards. Tous les arbres, tous les bosquets de ce pays lourd s’allègent, jettent leurs ombres comme du lest, et bleuissent. Un vallon à mille plans, au bas de chaque descente, s’éclaire et s’éteint par degrés ; toutes celles des feuilles qui seront jaunes dans un mois sont inondées de soleil. Sur les ardoises des clochers, un rayon mal taillé s’effrite. Aux carrefours, des plaques tentatrices indiquent Colmar, Strasbourg, Fribourg, avec le nombre de kilomètres le plus réduit, en évitant d’atteindre un chiffre rond, comme dans les grands magasins : 59, 99, 119. Nous traversons un ruisseau rapide qui porte son nom sur le pont comme sur son collier, c’est la Doller. Au delà du pont, une maison isolée, comme en France ; un jardin clos