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RETOUR D’ALSACE

d’un seul voyage de deux jours à Paris, une tour Eiffel, une vraie, avec un dessous vert, la photographie du pont Alexandre sur un coquillage, le rappel de tout ce qui a donné aux Alsaciens, depuis quarante ans, l’occasion d’être fiers de nous. Seul, un coquillage du Tréport a été acheté par amour du beau, et peut-être aussi ce cornet à fleurs en nacre. Que les coquillages se font voyants sur les montagnes ! Nuit agitée. À chaque réveil, la lune me montre sur la table, entre la Tour Eiffel et moi, une longue jumelle allemande, posée sur ses plus petits verres. Si je la retournais, la Tour reprendrait sa vraie hauteur. À minuit, Auflit se réveille avec la soif, mais se rabat sur la faim, car nous n’avons qu’à manger. À trois heures, Bardin arrive transi. Nous le roulons dans le tapis et nous asseyons sur lui pour le réchauffer. Nous avons l’air de jouer les Mille et une Nuits. Mais déjà la nuit, notre quinzième nuit, s’achève. Il fait jour. Nous nous précipitons tous trois vers la grange pour trouver l’œuf d’une poule qui chante, ayant trouvé le moyen de pondre entre les deux premiers cris du coq. Tant pis pour les soldats d’après-demain… Bardin le gobe.