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RETOUR D’ALSACE

Les adjudants font boire du lait à Forest, en le lui versant de très haut dans la bouche.

— Forest boit du lait, crient-ils aux autres adjudants, et tous lui hurlent mille compliments : qu’il est beau, qu’il a toutes les femmes qu’il veut, qu’il a eu Juliette…

— Je bois du lait, tente-t-il de dire, mais l’adjudant verse toujours.

À cinq heures, le régiment est prêt. De temps en temps passe l’ordre de mettre sac au dos, puis, dix minutes après, l’ordre de le reposer. Promenade coutumière des clairons et tambours, qui ne savent où se placer et que chaque capitaine expédie au bout opposé du village. Ils vont à la mairie, au presbytère, au château, comme les fanfares le matin du 1er janvier, en province. Les mulets des mitrailleuses, demi-ânes qu’ils sont, s’échappent, et renouvellent à leur profit l’esclandre du Spionkop. C’est pendant ces heures d’attente que les Roannais déclarent enfin comprendre la défaite de 70. Visites entre compagnies voisines ; un soldat élégant, aux moustaches gommées, vient demander cérémonieusement au caporal Pierlit s’il est parent, dit-il, de la divette, s’excuse et part très fier, comme après une visite dans les coulisses de l’Eldorado. Une diversion : le vaguemestre annonce à bicyclette