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RETOUR D’ALSACE

qu’elles n’ont pas non plus de pyramidon, ni de quinine. Jalicot veut leur bander les yeux, mais ils protestent avec politesse, s’excusant, comme si on leur offrait un bandeau d’eau sédative : c’est de l’aspirine qu’il leur faut. Le lieutenant d’artillerie cligne des yeux à mon adresse :

— Je ne les lâcherai qu’après la retraite, dit-il. Le colonel est derrière nous.

Quelle retraite ? demande-t-il, furieux.

Jalicot confisque les bicyclettes des droguistes, qui ont souri. Le lieutenant, au garde-à-vous, cherche un synonyme à retraite. À quoi bon ? Nous savons maintenant que notre campagne d’Alsace est finie. Les chefs savent qu’on nous ramène en France. Les soldats comprennent, — c’est si facile à comprendre ! — que, comme il n’y a plus de résistance en Alsace, on n’a plus besoin de s’y battre. Nous sommes heureux de marcher vite, d’être sur la route nationale, qui mène de la nation badoise à la nation française. Les officiers viennent me rendre mes cartes. À chaque halte me reviennent, un par un, Colmar, Strasbourg, et j’ai droit à nouveau aux fantômes de mes cités. Déjà j’ai ouvert mes cartes de Belgique. Déjà je parle d’Anvers avec Jadin, cuisinier de paquebot, qui se croit obligé, parce que je suis interprète, de parler anglais. Il était à Portland le