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RETOUR D’ALSACE

dent maintenant chaque maison comme si elle avait été construite par Kléber, ou, si leur mémoire est mauvaise, par Marceau, par Hoche. — Et la cathédrale, demandent-ils, de qui est la cathédrale ?

Thann, que nous ignorions tous avant la guerre, parce que ton nom, sur la carte, est noyé dans l’ombre des Vosges, porte d’Alsace qu’aucun de nous n’imaginait, et qui se dresse tout à coup, arc de bois et de géraniums, sur notre retour, que nous voulons t’aimer et que tout serait beau sans cet imbécile de Jadin qui s’obstine, sur ma droite, à prononcer ton nom avec le th anglais ! De chaque maison pend un drapeau, un seul, le pavillon de la maison, un vieux drapeau d’avant 70, avec des franges d’or, d’une soie si cassante et si brisée aux plis gagnés dans l’armoire, que le vent le plus modeste le secouerait en petits carrés. Tous immenses, avec des hampes neuves, et l’on a cloué quelquefois le rouge du côté de la hampe, ce qui rend le drapeau plus lourd, plus grave, mais tous si fragiles que son maître surveille chacun, comme des lampions un jour de fête, pour qu’ils ne s’éteignent point. Au balcon, la personne âgée ou courbée de la famille, celle qui ne voit que d’en haut et de loin. Thann, qui nous rend soudain l’Alsace, qui nous allège