Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/122

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clame Chopin, Franck ; il baptise Roger de la Bruyère, Roger van der Wayden dans un appétit d’annexion souterraine auquel pas un professeur ordinaire ou un privat-docent ne s’est refusé, il a annexé les cathédrales gothiques, les colonies hollandaises et l’Algérie, les épopées françaises ; et les malheureux artistes et savants neutres, aux environs de la cuvette allemande, ne s’en tirent, comme des mouches d’une jarre à crème, qu’avec des appellations teutonnes qui les suivent désormais dans tous les manuels. L’Allemagne voulait gagner la guerre pour que la ville où naquit Pasteur fût allemande, et cette année, le jour de son centenaire, Pasteur, seconde naissance, aurait été proclamé Allemand… Mais qu’en concluez-vous ? Moi, j’en conclus que son orgueil et son appétit de querelles ont pu être cette fois justement refrénés. Mais c’est tout. L’Allemagne est aussi vivante aujourd’hui qu’hier. Le mot France et le mot Allemagne ne sont à peu près plus et n’ont jamais été pour le monde des expressions géographiques, ce sont des termes moraux… Plus on démembre l’une d’elles, plus sa puissance non temporelle, comme celle de la papauté, s’accroît. Pourquoi alors continuer de juger comme un simple attentat à la propriété, une explosion qui était à la vie moderne ce qu’est une passion dans un cœur. L’Allemand a été soudain amoureux de l’univers. Depuis cinquante ans, l’échelle qui servait au maître d’école pour ses leçons de choses, au brasseur pour le diamètre de ses tonneaux, au fabricant de clous pour la longueur de ses clous, était graduée à l’usage de l’univers. Pas une carte du monde, des océans, des autres, où la couleur réservée à l’Alle-