Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/133

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Erick de Sumiprast, c’était moi. Celui qui eut de Rosine Ravarina un fils dont on ne vit jamais s’il avait les yeux de sa mère, car il mourut le premier jour, ce n’était pas Dante di Branginetti, c’était moi. Celui qui porta Nenetza Benge dans un grand papier, ce n’était pas Alcibiades Mevrondis, c’était moi. Et j’étais aussi, pour tout avouer, celui auquel le plus grand poète haïtien avait dédié son meilleur poème, qui débutait par le vers devenu illustre :

« L’allègre pipirit a sonné le réveil !… »

— Haïti ? dit Eva, qui m’écoutait sans trop d’impatience, mais qui eût désiré une biographie plus ordonnée, avec des dates… Haïti ? Un de mes cousins, Otto von Mueller, est tombé du bateau entre Haïti et La Havane, et un requin l’a mangé… Pourquoi riez-vous ?

Il était très impoli de rire, mais au fond qui était à sa place, à mi-chemin entre Port-au-Prince et Cuba, du requin ou du fils Mueller ? Famille entreprenante, mais imprudente, car le frère cadet était mort, lui aussi, dans un combat plus égal, à Brégy (Seine-et-Marne), où pas grand-chose ne l’appelait non plus, entre Vareddes et Dammartin… On pouvait, il est vrai, me faire aujourd’hui le même reproche et demander ce que je venais chercher à mi-chemin, — si je jugeai juste, — entre la haine et la sympathie d’Eva… Toutes deux s’étaient rapprochées, car Eva m’avait pris tendrement les mains et me regardait durement dans les yeux.

— Vous avez le front de votre père, lui dis-je.

— Laissez le front de mon père. Si vous voulez tout savoir, et pour compléter cette circulaire du Major Schiffl qu’Ida vous a donnée, j’ai les hanches de ma