Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle barrages intellectuels et commerciaux se rétablirent. Les douaniers allemands déchaussaient les Français qui sortaient de la Hesse avec des souliers neufs, ou ne laissaient que leur oiseau à ceux qui avaient acheté des cages. Le malheureux surpris à Wissembourg avec des pièces d’or se voyait appliquer dans la minute la loi sur les faux monnayeurs. Les monceaux de livres d’art contenus à grand-peine par Leipzig durant la guerre, les biographies mises à jour des cubistes, les suppléments aux catalogues de l’art au Gabon, s’amoncelèrent aux gares frontières avec les denrées périssables. La demi-douzaine d’Allemands et de Français qui avaient repris, — après combien de scrupules ! — leur correspondance d’avant-guerre durent à nouveau l’interrompre. Je ne reçus plus la Frankfurter. je reçus la Chicago Tribune que je lisais sans curiosité, car M. Mac Cormick ne s’avisait jamais de démarquer André Gide ; la Correspondancia de España, où l’éditeur non plus ne s’ingéniait guère à glisser des phrases de Marcel Proust ; et la Westminster Gazette, où Wells plagiait si rarement Francis Viélé-Grifffin !… Le 31 janvier, septième anniversaire de sa mort, en l’absence de tombeau on cloua sur la maison que Forestier avait habitée, rue de Condé, une plaque en son honneur. Nous étions entassés dans cette rue devant une haute et antique façade, tous les gestes que fait un cortège devant une tombe contrariés ici par l’édifice. Nous devions lever la tête au lieu de la baisser, nous tenir sur un rang au lieu d’entourer le cercueil, cependant qu’aux différents étages les fenêtres s’ouvraient l’une après l’autre, de locataires désireux d’entendre cet