Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/153

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prétendus bourreaux (je reconnaissais surtout, sans doute à cause de la plus grande facilité avec laquelle on trouve leurs photographies, tous les colonels attachés à la Présidence de la République), et les chefs de Ligues contre la Légion, que notre hôte saluait suivant le cas du salut militaire français ou de l’allemand, après quelques objections de M. Grane, qui n’était plus hostile aux régiments étrangers depuis qu’il avait constaté que le mess des officiers de Figuig était couvert, à défaut de lierre, de clématites et de jasmins, nous prîmes congé. La mère et l’enfant dormaient, le grand-père s’épanouissait dans un silence soudain comparable aux belles siestes de Sidi-Bel-Abbès. C’était la première fois que j’entendais naître quelqu’un dans le pays le plus prolifique d’Europe et j’en étais tout ému…

Puis vinrent les lacs. Selon que les nuages étaient blanc gris, ou blanc blanc, l’eau en devenait bleu clair ou encre de Chine. Sur les bords, des châteaux construits par Louis II pour imiter Versailles, renonçant à remplir leur mission par leurs bâtiments, y arrivaient presque, aujourd’hui, par leurs reflets. Des fillettes costumées, la première rose à la bouche, agitaient vers nous à chaque tournant des fleurs d’hiver de la main droite, des fleurs d’été de la main gauche. Les peintres chasseurs de paysage avaient cédé la place aux chasseurs d’échos ; devant chaque montagne convexe, un Berlinois en vacances de Pâques faisait crier au chœur de ses enfants, juchés sur des pierres de taille différente, pour que leurs bouches du moins fussent à la même hauteur, un hymne de vengeance, ou, pour les reposer, une de ces questions comiques