Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/188

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d’ondine que le Baedeker confirmait dans la prochaine édition, tous les esprits et éléments qui personnifient l’insaisissable toujours apprivoisés en quelques heures entre Rhin et Elbe, — et d’où vient l’amitié rapide qui lie soudain pour toujours, dans le premier restaurant auprès de la gare de l’Est, le grand exilé tchèque ou anglais avec le garçon berrichon qui le sert ? Geneviève était toujours logée à la place exacte où la baie et le salon du Casino, de leur soleil ou de leur ripolin, l’eussent sécrétée comme une perle. Eva à celle où la municipalité eût élevé la fontaine ou la statue. Deux ou trois fois j’entendis Eva appeler des animaux sous le prétexte que sa robe était de leur couleur et qu’ils étaient frères. — Venez, leur disait-elle, j’ai votre pelage ! Mais les braques blancs fuyaient ses robes blanches, les serins sa robe jaune, et acclamaient Geneviève en vert pomme.

L’instinct qui révélait à Geneviève ce que les inconnus contenaient en héroïsme et en souffrance l’arrêtait aussi devant les bicyclettes qui avaient eu des accidents mortels et devant les maisons riches en drames mesquins ou confortables. C’est ainsi qu’elle nous mena prendre tous les jours le café chez les Weissberger. Frau Weissberger avait d’abord rougi de nous voir arriver juste à l’heure où la lumière soulignait le délabrement de son chalet et ses premières rides. Fanny Weissberger, au temps où elle était Fraülein Horn de Hambourg et millionnaire, méprisait sa fortune, ne pensait qu’à lui échapper, et, au prix de vingt années, après deux divorces, — de même que ses oncles les Friedlander avaient gagné la religion catholique en deux temps, le premier l’athéisme, le second le pro-