Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des salves, c’étaient les invités du Président de la République qui chassaient. Parfois un coup de feu isolé, c’était un musicien invité pour la première fois et qui tirait aussi son premier coup de fusil.

— Dites-moi tout cela avec les noms propres, disait Forestier. J’adore les noms propres.

— Je traduis donc : nous étions à Marly-le-Roi, à l’auberge Martin. Les sphinx baisaient les roses ; les pervenches, les phalènes. Des coups de feu : c’étaient MM. Chéron, Maunoury… Un coup de feu isolé, c’était M. Erik Satie.

— Et voilà onze ans ?

— Le 22 mai 1911, nous allions chez les Arduran-Ladoucet, manger des cèpes et du lièvre. Nous étions à motocyclette, car vous savez aller à motocyclette. Vous emportiez votre trompe, car vous savez sonner de la trompe. Nous nous arrêtions dans chaque forêt pour cueillir des champignons, car vous distinguez tous les champignons non vénéneux, du mousseron aux cocherelles.

— Et encore ?

— Vous aviez dans votre poche le tome I de Vauvenargues. Le tome II était dans la sacoche pour les crevaisons. Car vous ne savez pas réparer les pneus. Arrivé à la Marne, nous pêchions à la ligne. Je vous étais d’un grand secours, car vous détestez toucher les asticots. À la tombée de la nuit, nous nous attaquions aux écrevisses, et vous m’alertiez à chaque bruit, car vous avez la terreur des gardes champêtres.

— Et encore ?

— Le 22 mai 1891, vous habitiez chez votre tante Eynard, en Limousin. Elle vit encore. Elle est la