Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/193

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seule de votre famille à vivre encore. Elle vous donnera des indications devenues classiques sur votre jeunesse, ce génie de dessinateur qui vous posséda entre trois ou quatre ans. Vous dénichiez des nids. Vous avez pas mal de torts envers la France. Vous avez cassé pas mal d’œufs de bouvreuil ou de merle dans votre poche, car vous ne pouviez consentir à les mettre dans votre bouche pour redescendre des ormeaux. Vous êtes tombé une fois dans une mare et l’on vous a sauvé à grand-peine.

— Qui m’a sauvé ?

— Un de nos camarades nommé Durand et un chien nommé Miraut. Tout ce que la France peut fournir de plus anonyme en fait de sauveteurs. Une autre fois, sur un échafaudage du clocher, votre planche basculant, vous étiez tué sans un ouvrier qui vous rattrapa par les oreilles. Elles ne cédèrent point. De ce sauveteur-ci nous avions retenu le nom, c’était un Piémontais et peu porté à l’anonymat, car il s’appelait Garibonticelli.

— Qui voyions-nous ?

— Nous voyions à deux heures le maire, qui savait tout juste encore lire, qui était partisan du grec, et nous offrait du vin de Monbazillac sucré, le meilleur étant le sucré. À trois heures le professeur de rhétorique de Limoges, partisan de la suppression des classiques, et qui nous offrait du Monbazillac sec, le meilleur étant le sec. Toutes ces antinomies de formidable envergure, Dieu et Néant, Royauté et République, cubisme et classicisme, vin sucré et alcool, notre petite ville nous en nourrissait sans mesure. Puis nous partions vers Brantôme par le chemin vicinal, du