Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/204

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ces prisons bien des choses et tous ses papiers. Aidez-moi à sauver les seuls auxquels je tienne, ces trois lettres, qui ont été écrites par Heinrich Heine à mon arrière-grand-mère. Vous pensez quel cas ferait d’elles le nouveau Seidl ou le nouvel Egelhofer ! Mon vieux Lieviné Lieven, d’autre part, les vendrait. Les voulez-vous ?

Je pris les lettres. Jusqu’au déjeuner, d’ailleurs, Lili trouva des prétextes à revenir ; elle avait oublié en une fois ce que les femmes oublient en une année chez leur ami, son mouchoir, son face-à-main, un petit cornet acoustique, des sels pour son cœur, car il n’était pas un de ses sens qui ne fût trop tendu ou trop lâché, et qui ne réclamât à toute heure un excitant ou un frein. Elle affectait de ne pas user de ces annexes en ma présence, me laissant l’illusion que je mettais en elle au même rythme et ses yeux, et ses poumons, et les ondes sonores… Puis, quand tout fut retrouvé, elle revint pour me combler de dons, avec tous les airs d’une restitution et comme si, à mon tour, je les avais oubliés chez elle, une malle de voyage en laque gravée, des chandeliers en cire, tous ustensiles éminemment pratiques, et qu’une révolution risquait en effet de ne respecter qu’en partie. Puis, ma mission de coffret remplie, elle revint pour détruire les objets en peau de lézard.

— Il faut du moins que la révolution serve à cela, dit-elle.

Je les rattrapai avec peine de ses mains. Je dus ouvrir ses mains pour les reprendre. Combien la peau du lézard est moins douce que celle de Lili David !

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