Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/212

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et faisait ululer pour moi un grand-duc bien portant au fond de la forêt… Mais je ne te connaissais pas… J’écrivais en automate à je ne sais quelle œuvre qui continuait à pousser comme les ongles d’un mort, puis j’éteignais et m’accoudais à ma fenêtre… Chaque étang, chaque bassin semblait épuisé, et se reposer d’avoir porté pendant le jour une flotte innombrable ; à chacun une lune déjà vieillie distribuait un portrait jeune d’elle. Jamais créature de 1 m. 65 à 2 mètres n’avait moins demandé à la nature et à la nuit, et jamais nature et nuit n’avaient offert davantage… Elles ne savaient pas que pour moi, depuis ce jour de plein juillet où j’avais senti que tu vivais et que je ne te connaissais pas, l’image de la désolation ne m’était plus donnée par des arbres dénudés, par un ciel ravagé de vent et de verglas, mais en bas par les floraisons et en haut par les astres… Je ne voyais de ma fenêtre que le spectacle de forêts plus touffues, de collines plus rondes, d’oiseaux de nuit tout gras, celui de la désolation des désolations… D’un regard plus lent mais plus dur que le leur, je regardais fixement les étoiles… Je ne te connaissais pas… Pas une qui n’ait cligné avant moi… Adieu, mon ange.

P.-S. — Les deux Musset sont deux poètes et les deux Schombach deux idiots.

Le temps pour la petite Kramer de recopier à six exemplaires, et j’eus la réponse de Lili…

— Petit Heinrich, d’où vient que tu casses les verres si facilement ? Dis-moi si mes baisers te plaisent ? Tu ne me parles pas non plus de mes jambes.

Je répondis :

— Fanny, ma main tremble. Ce n’est pas seulement parce que je t’écris, ou par ce frémissement de l’aimant qui veut attirer hors du papier quelques trésors. Parfois, dans