Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/232

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son la première Française que l’on rencontre. Si vous raisonniez comme l’Anglais qui vit la femme rousse de Boulogne vous nous feriez une belle réputation… Vous le voyez, Jean, j’avais raison. Tout ce qui n’est pas en bois me porte malheur. Mais allez réclamer une table d’opération en bois, des pinces et des bistouris en bois ! Les opérations sont comme les voyages en Algérie, on s’imagine qu’on va pouvoir choisir son bateau, sa place, sa semaine et l’on est jeté sans précaution dans un des tubes mêmes du déterminisme. Je n’ai vraiment jamais pu être comme les autres, je reviens faire mes enfants en France et je vais mourir en Allemagne… Pour reparler des françaises, Kleist, je vous assure qu’elles sont très solides, et que les veuves en France sont autrement nombreuses que les veufs.

— Ne parlez pas toujours de mort, Geneviève.

— Pourquoi ?

— Cela ne se fait pas.

Elle n’insistait point.

Au lieu de revoir sa vie en une seconde, comme d’autres mourants, elle la revit minutieusement, mordant même un peu sur la vie de sa mère, du temps où elle-même n’existait pas encore. — J’en étais à ma naissance. — J’en étais à l’élection de Félix Faute. — J’en étais à l’Exposition de 1900, disait-elle quand j’entrais, car ses souvenirs ne se cristallisaient qu’autour de dates officielles. Elle parlait à peine de son métier, mais ses mains s’agitant, caressant ou creusant, nous sentions que sa mémoire de sculpteur complétait ou illustrait l’autre. C’étaient des mains qui avaient beaucoup touché l’univers et son argile, un