Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/36

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champ celles des petites femmes qui ont mission d’atteindre, au besoin par des intermédiaires de toutes les races et par un tour du monde, un adjudant colonial de mitrailleuses assis à la table d’en face, et ceux des maîtres d’hôtel chargés de les surveiller. Le fait qu’un seul chef de bureau français, à l’aide de trois dossiers, d’un apéritif et d’un petit arrosoir pour apaiser l’été la poussière de son parquet, arriva à contrebattre le travail de notre plus grand espion (je parle de ce Scheuermann qui devant la foule et les temples indous se sentit soudain la vocation de l’espionnage et y était donc poussé par l’admiration du grouillement humain), te prouve qu’il s’agit là d’un art bien matériel et grossier. Mais, jetés sur ces deux cents étrangers qui nous entourent, je soupçonne des rets autrement subtils. Je vois ici douze ou quinze membres de la secte dont les adeptes, avant les actes de l’amour, prononcent une suite de paroles rituelles que moi-même je n’ai jamais pu savoir et qu’aucune femme n’a trahie. Je vois trois représentants de la secte de ton ami Barletipoulos, le beau Grec que les femmes aiment un peu moins maintenant parce qu’il leur fait des jumeaux, et auquel elles n’accordent plus que ce qu’on accorde à deux personnes à la fois… Barletipoulos a été sacré à Göteborg, la ville d’industrie de la Suède, une nuit où tous les mineurs étaient montés à cet effet sur les toits proches des constellations, président d’une secte de lunaires (et non de Stellaires comme on l’a prétendu), dont les vice-présidents n’étaient autres que le prince Oscar et l’héritier Nobel. Il est astreint à un protocole impérieux, qui règle ses gestes d’heure en heure ; tu l’as