Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/60

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les tableaux, les sourcils poussent aux apôtres, les mains des vierges se font noueuses et leur gorge remonte, les chairs pendent aux mégères… c’était l’Allemagne.

Le miracle, par contre, se produisit inverse en ce qui concernait mon jeune compagnon. Il avait des gants à rabat, mais dans lesquels je reconnus peu à peu une main fine, de grosses prunelles, mais dont le regard s’amenuisa ; des bottes où son pied soudain parut minuscule. Je me rappelai que depuis le départ, j’avais eu pour lui des attentions (j’avais ramassé sa cravache et agrafé son manteau ; près du château Cornar, j’évitai de plaisanter), qui me prouvaient que mon corps, plus rusé que son maître, avait soupçonné près de lui un corps féminin. Dès la seconde où je l’eus appelé Fraülein, il tourna vers moi la tête, étirant des deux mains pour se mieux démasquer, comme les enfants dans leurs grimaces font de leurs lèvres, son passe-montagne, et au fond d’une gueule de monstre azur, je vis le visage nu et rosissant d’une jeune fille.

— Si vous saviez mon nom, dit-elle en riant, vous seriez plus étonné encore. Ne cherchez pas. Je n’avais que sept ans quand, pour la dernière fois, vous m’avez vue. Je suis Ida Eilert.

Au seul nom d’Eilert, et peut-être aussi parce que dix heures sonnaient, comme un décor instantané, une autre Allemagne apparut. Nous étions près de Moosburg, et les diligences jaunes, rayonnant de la poste, arrivaient au son de la trompe sur les premiers hameaux. Les restaurations sortaient leurs ifs taillés ; les servantes tyroliennes astiquaient les bougeoirs et