Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/63

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ville fatale des héros suicidés, ou meurtris ou meurtriers, ou éternellement malades. Werther, Adolphe, et dans la nouvelle édition, d’Anna Karénine et de Paphnuce. Il se trouvait, à l’étonnement de tous, malgré le peu de romantisme de ma race, que la majorité de ces croix était française. Nous savions par cœur les plus belles phrases du guide : « Quelle que soit la distraction qu’engendre l’amour, il convient de lever les yeux en entrant dans le Colisée. » Ou, au chapitre Paris : « Mon mari m’a toujours répété qu’il a eu dans sa vie deux souvenirs impérissables, son mariage et sa campagne de 1870. » Aussi la baronne était-elle dévouée à tout ce qu’elle sentait français, comme si c’était le fruit ou la cause de son mariage même, m’appelant Söhnchen ou Vaterchen, selon son humeur, et m’encourageant à trouver désirable la princesse Ottilie, dans l’espoir que, par l’effet d’un amour aussi illustre, après avoir planté un jour sur ma tombe une croix, l’éditeur du Baedeker sentimental se sentirait autorisé à en dessiner sur sa carte la flatteuse projection.

— Tirer les pieds d’un souffleur, disait Ida, c’est chose plutôt rare ! Le jour, pourtant, où vous souffliez Angèle, au moment où la femme du fils prend le père, on entendit un grand cri sous la scène, qui sembla saisir pour la première fois l’indécence des pièces de Hartleben et qui poussa son appel. C’était que je vous avais tiré par les pieds… je l’avoue aujourd’hui…

Ainsi se révèle dans votre vie, après trente ans, et dans le fond d’une province étrangère, ce pourquoi la vitre du coin à la fenêtre de votre grand-mère se