Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/74

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noms, réputés aussi, de Siegfried Wagner et de Strauss. C’était un jour de juin, et de fête bien entendu. Il y avait eu ce mois-là vingt et un jours fériés en Bavière, grâce aux nombreuses naissances et morts de princes Wittelsbach et d’archiducs zu Bayern. On pouvait prévoir que si la famille continuait à vivre et à mourir au même rythme, les jours de travail seraient bientôt supprimés pour son bon peuple… C’était aussi le jour où Delcassé avait donné sa démission, où la Moréna avait récupéré deux notes de sa voix perdue l’année précédente, où l’on avait enfin retrouvé et offert au Musée une bourse de Wagner en cuir sculpté, que l’on cherchait depuis la mort de Wagner, et que Wagner lui-même avait perdu deux jours de sa vie à réclamer vainement (elle contenait deux billets de faveur pour la représentation du 8 août 1875). Chaque édition des Nouvelles Munichoises, celle de sept heures, celle de onze, celle de deux, apportait donc aux abonnés une version heureuse de la journée, qui les porta, selon leur façon d’entendre l’hospitalité, à réunir leurs fils et filles jusqu’à concurrence de quatre pour me jouer un quatuor, ou à me parler, les larmes aux yeux, du bon vin qu’ils avaient bu dans nos châteaux en 1870. Je ne disais rien… je buvais l’humiliation en silence. Il s’agissait alors pour moi de pousser à la restitution de l’Alsace, de gagner au repentir et à la France, par d’habiles entrefilets dans la Revue d’Art dramatique dont j’étais le correspondant, ces soixante millions d’êtres tombés entre les Slaves et les Gaulois, et qui ont inventé, pour passer la vie et le temps, la bière, la guerre, l’okarina, et un si grand nombre de verbes irréguliers…