Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/75

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Il était neuf heures… Seuls étaient encore brillants, aux environs des théâtres, les magasins d’opticiens et de jumelles… Tous les télescopes, les loupes, les blocs de cristal de roche, le cerveau de Hegel avec un drapeau par circonvolution (carte immuable, celle-là, de l’Allemagne), s’offraient sans concurrence au promeneur… J’allais par les arcades, les passages, les cloîtres, m’arrêtant, pressant le pas comme quelqu’un qui suit quelqu’un et, à quinze ans de distance, je me suivais moi-même… Mes adhérences avec Munich d’ailleurs ne se firent pas douloureuses juste aux places où je pensais les trouver, et je découvrais pour la première fois les vrais points sensibles pour moi de cette capitale. Ce n’était, comme je l’avais imaginé quinze ans, ni la Glypothèque, ni la vieille Pinacothèque, pour ne rien dire de la jeune, ni la demeure où j’avais vu Lenbach peindre, ni le théâtre où j’avais vu Hildebrandt sculpter ; mais bien, surgissant seuls pour moi, comme épargnés dans une ville en cendres, le poste Moyen Âge où je recevais mes lettres guichet restant, l’obélisque d’où les Bavarois étaient partis un jeudi pour la Russie avec Napoléon et d’où je partais tous les dimanches avec Martha pour Schlossheim, les grands magasins Tietz, où je ne connaissais d’ailleurs personne, mais où j’avais continué à me rendre à la parfumerie, située juste au centre et Dieu sait accessible ! par un itinéraire compliqué et immuable qui correspondait peut-être, tant il m’est cher encore, à quelque aimant souterrain. À certains coins de rue, les mêmes glaces m’offraient comme un souvenir mon reflet, à peu près le même reflet… Un objet de porcelaine de la maison Koeller, que j’avais vu jadis en