Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/80

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d’acteurs. Puis, quand j’eus observé le même rite, quand j’eus raconté qu’Anatole France était marié, que Rodin était embaumé, que Clemenceau avait dix-sept ans de moins que Freycinet, le barrage officiel une fois rompu, les foules de nos amis modestes se précipitèrent l’une vers l’autre, et elle me parla de Martha…

Martha, le dimanche de mon départ, vêtue de mousseline à pois rouges, les oreilles sous deux coques, la langue au secret dans sa bouche, les yeux sous ses cils et paupières, les ailes de son nez fermées de détresse, ses mains cachées dans un manchon, promena tout ce corps charmant privé de sens du Jardin Royal ou elle me cherchait en personne, à l’église des Théatins où elle réclamait par paraphrase pour dix pfennig à saint Antoine un trésor perdu. Elle eut tort de ne pas préciser. Elle trouva un livre de messe, une broche représentant un éléphant passionné, mais ne me trouva pas. Parfois un petit chien perdu semblable au mien passait. Elle le poursuivait jusqu’à ce qu’il eût rejoint son maître. Moi j’étais déjà à Augsbourg, ivre de liberté et surpris par le contrôleur à danser dans le couloir. Parfois un lorgnon renvoyait un rayon dans lequel elle croyait reconnaître un de mes faux regards. Des larmes alors venaient sur ces yeux cachés sous ces cils. Moi, en gare d’Ulm, à la hauteur de la cathédrale, j’appuyais mon visage de toutes mes forces contre la vitre, grimaçant d’aise, à l’étonnement du contrôleur qui se dégourdissait les jambes sur le quai. Parfois, elle croyait me voir entrer au Musée National, elle y pénétrait, voyait sa méprise, et devait courir par les quatre-vingt-trois salles qu’on