Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/86

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Le mois où Guillaume eut épousé cette impératrice peu radieuse, on annonça les fiançailles d’Heinrich avec Annette Blensen, fille du romancier, reine de beauté du Schleswig, et la meilleure nageuse du continent, ou plutôt des mers environnantes. Ses robes, même de cour, étaient conçues de telle sorte qu’elle pût se laisser tomber en n’importe quelle circonstance dans la rivière, l’étang ou l’avenue d’eau sur les bords desquels on passait, y disparaissait comme une ondine, et seul Roosevelt, pendant son séjour à la cour impériale, essaya de la suivre, tout habillé, sans succès, à travers les bassins de Potsdam, puis les rigoles du Spreewald. Dans l’année où Guillaume édifiait la Siegesallee, Heinrich, dans son jardin de Nymphenburg, fit construire une tonnelle et poser un cadran solaire. Pour chaque prince adipeux et terrestre que Guillaume engendrait, Heinrich ajoutait à sa lignée un nouveau baron de Altdorf, honnête, candide, qui, dès qu’on put voler, se laissait tomber dans l’air comme sa mère dans l’eau. Il y en eut assez pour faire, en 1914, la première escadrille, et tous, Guillaume gardant intacts ses fils, furent mutilés ou tués. C’était le vieux duc de Saxe le père qui avait créé vers les quatre-vingt la troupe des Altdorf, où chaque rôle, fût-ce celui d’un valet, était joué par un acteur célèbre, comme pour le centenaire de l’auteur, et qui se disait moins offensé par un petit acteur dans un grand que dans un petit rôle. Heinrich avait hérité de cette manie, mais pour sa maison. Il ne voulait voir autour de lui la vie jouée que par des Allemands dignes d’elle et de leur prince. Il n’y avait pour couper le pain à sa table, pour cirer le parquet, pour tirer les