Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/97

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J’avais laissé tomber mon gant… Tu avais déchiré ta robe… Nous avions couronné l’âne noir… C’est ainsi que le manuel, ouvert au chapitre des Petits Malheurs, nous fit passer cette première entrevue à une confession puérile, mais dont chaque aveu me libérait à la fois de je ne sais quelle faute et me couvrait de peine… J’avais lâché l’écureuil, il avait plumé le serin… Au-dehors, le vent s’élevait. Je pensais aux vrais méfaits que nous avions commis ensemble ; j’avais déchiré la robe de Cricri ; il avait accusé Sarcey de perfidie ; nous avions tiré la sonnette de Larroumet… Des tuiles tombaient des toits. Dieu aussi, à en juger par ce vacarme au-dehors, était aujourd’hui bien maladroit !… Dieu, — qui avait volatilisé l’uniforme de Forestier, qui avait déchiré le voile du monde, qui avait décimé l’innocente Russie ! Je m’étais approché de Siegfried et je surveillais sa lecture. La dernière fois que nous nous étions ainsi penchés de front, âmes à l’abreuvoir, sur le même volume, il se trouvait que c’était sur un texte allemand, sur Schopenhauer. Quels petits malheurs n’avaient pas causé les femmes ce jour-là ! Mais Kleist ne me laissa pas le temps de préciser mon souvenir, il fallut lire le chapitre suivant, qui était celui des animaux, avec le nom de leur ramage, de leur appel ou de leur cri ; et quand le coucou reparut pour sonner la fin de la leçon, nous savions qu’il coucoulait et nous savions aussi ce qu’aurait pu faire, si l’horloger l’avait voulu, le daim muet de Geneviève.

Il était six heures. De ce cri qu’on appelle la parole, de ce cri étouffé, guttural, émouvant qu’on appelle la parole allemande, Siegfried me dit à demain…